Aujourd’hui, nous allons franchir un cap significatif… celui de la millième photo.
Depuis juin 2015, notre album de souvenirs commun s’est épaissi. Dans cet album, il y a déjà énormément de photos de nous, enfants et adolescents, gambadant dans le parc à Comblain, ou nous livrant aux milles et unes activités qui nous occupaient alors. Il y a aussi des photos plus anciennes de Comblain-la-Tour, histoire de redécouvrir les lieux, et enfin des photos plus récentes qui prouvent que nous avons retrouvé le chemin du Centre Millennium.
Mais j’avais envie que la millième photo soit « spéciale » … que ce soit le genre de document qui marque les esprits … qu’on n’oublie pas facilement. J’ai beaucoup hésité. J’ai souvent changé d’avis. Le choix est difficile.
Il faut dire que toutes les photos qui sont déjà parues sont chargées d’émotions. Elles sont toutes « spéciales » et témoignent toutes du formidable enthousiasme qui a prévalu durant tant d’années pour faire naître et vivre ce projet. Finalement, j’ai choisi celle-ci : photo 1.000.
On peut y voir un groupe de bénévoles occupé à construire « le bâtiment rouge ». Vous ne direz : « Pourquoi cette photo-là et pas une autre ? ».
À la fin du mois de septembre 2017, une grande cérémonie protocolaire s’est déroulée à Comblain-la-Tour. Le comité qui gère la maison – la Macierz Szkolna – fêtait ses 65 ans. C’est en effet en 1952 que quelques passionnés ont entrepris de mettre sur pied un organisme pour chapeauter toutes les initiatives qui s’étaient données pour but de valoriser la langue et la culture polonaise en Belgique. La plus grande réussite de ce comité a été de rassembler toutes les forces possibles, à travers le pays, et canaliser toute cette énergie positive pour en faire quelque chose de pérenne et d’unique en Europe … un centre de vacances pour les petits polonais vivant hors de Pologne. Les premières colonies à Comblain verront le jour 9 ans plus tard.
Pour célébrer cet anniversaire, de très nombreux invités sont venus écouter les discours des autorités polonaises qui avaient fait le déplacement. Il y avait du beau monde, des petits plats et des bulles. Le réfectoire a rarement été aussi rempli. Tous se sont réjoui que l’initiative, qui paraissait folle au début des années soixante, ait pu perdurer et tous se sont félicité que dorénavant, grâce à l’aide de l’Ambassade, plus rien ne risquait de freiner l’essor du Centre Millennium. Bravo. Nous aussi, nous sommes très heureux. Nous nous associons au concert de félicitations et de congratulations. Madame Wojda, et toutes celles et ceux qui l’entourent méritent vraiment que nous leur chantions un « Sto lat » sincère et tonitruant. Grâce à cette petite équipe de bénévoles, le Centre Millennium est assuré d’avoir un avenir.
La fête a été une grande réussite, mais je n’ai pu m’empêcher d’éprouver comme un sentiment de nostalgie teintée de tristesse en pensant à tous ceux qui n’étaient plus là pour faire la fête, mais surtout pour voir à quel point leur contribution a été essentielle dans l’existence et la survie du centre Millennium jusqu’à nos jours.
La photo 1.000, et celles qui suivent, sont là pour rappeler que tout ça ne s’est pas fait tout seul.
Il a fallu que des dizaines de bénévoles, venus de Liège, du Limbourg, de Charleroi, du Centre, du Borinage et d’ailleurs, viennent se fatiguer pour construire, jour après jour, brique après brique, cet ensemble unique.
Pour tous ceux qui se sont investis sans compter, qui n’ont pas ménagé leur peine, qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour Comblain, hier, avant-hier et aujourd’hui, nous avons la plus grande admiration.
J’ai une pensée émue pour Monsieur Franek Bujanowski, Monsieur Casimir Swiderski, Monsieur Léon Czak, Pan Jan, Monsieur Léon Warchulski, Monsieur Kazik Michalski, Monsieur Zbigniew Matusiewicz, Monsieur Walek Chmielecki, Monsieur Jean Dziewiacien, Madame Zalobek, Madame Kołodziejka et tous ceux qui sont sur ces quelques photos. Eux … ils se sont fatigués pour Comblain … c’est sûr ! À travers eux, je veux rendre hommage à toute cette génération de bénévoles venus des quatre coins de la Belgique ; ils ont apporté, en toute modestie, leurs contributions à l’œuvre commune, sans compter, et sans rien attendre en retour.
C’était facile de les reconnaître, on les voyait le plus souvent en salopette, en bottes ou en tablier. C’est bien dommage qu’ils ne soient pas plus souvent sur les photos … ils étaient sans doute plus préoccupés par leurs tâches que par le souci d’immortaliser ces moments, au service de la communauté. Je sais qu’ils préféraient rester dans l’ombre, mais je suis heureux de les avoir mis … un peu … dans la lumière. Puissions-nous ne jamais les oublier.
Quant à nous, les Anciens de Comblain, c’est MISSION ACCOMPLIE.
Nous n’avions que deux objectifs : prendre du plaisir à nous revoir sur les lieux de notre enfance et rendre au Centre Millennium un peu de sa mémoire. Les 1.000 photos qui sont à présent déposées en « Notre maison polonaise » prouvent que les deux objectifs sont atteints. Et c’était bien là notre seul souhait, notre seule ambition …
Vous souvenez-vous de ce son strident qui nous faisait sursauter quand nous étions à table dans le réfectoire ?
C’était le gros téléphone noir à cadran qui était installé dans le bureau de Ks Kurzawa. Sa tonalité était tellement intense que même dans nos chambres, même dans l’autre bâtiment, pendant la sieste on l’entendait. Et à chaque fois, Ks Kurzawa se précipitait pour décrocher. C’était une époque où un coup de téléphone était encore un évènement !
Nous, quelque part, on rêvait que c’était nous qui serions appelés pour répondre. Ça arrivait parfois que le prêtre ressortait du bureau pour venir chercher un tel ou une telle … mais c’était rare. Personnellement, je n’ai jamais été appelé… Qui voulez-vous qui m’appelle ? Ma mère était systématiquement cuisinière à Comblain, je n’avais ni frère ni sœur, et tous mes amis étaient déjà autour de moi. C’est comme pour le courrier.
Car, rappelez-vous, nous avions notre propre système de distribution du courrier à la colonie. Bien sûr, le facteur « officiel » apportait les lettres jusqu’au Centre, mais ensuite, c’est Betty qui prenait la relève. Betty Nowicki faisait ça très bien. Elle s’appliquait avec beaucoup de sérieux. Profitant que nous étions attablés pour le repas du midi, elle se harnachait du gros sac des correspondances ( presque trop gros pour elle ) pour lire tout haut et citer, un à un, les noms des heureux bénéficiaires d’une lettre ou d’une carte postale. Chaque bénéficiaire devenait une sorte de héros … il avait reçu des nouvelles du reste du monde.
On a du mal à s’imaginer aujourd’hui, dans notre monde ultra-connecté, ce que pouvait représenter, pour nous, un courrier reçu alors que nous étions en « vacances ». Betty c’était le lien entre l’univers de Comblain et tout le reste. C’est à ce point vrai que, il y a quelques années, quand le nouveau logo B-Post est apparu en Belgique, j’ai cru tout un temps que ça voulait dire « Betty-Post » … je me suis dit : « Tiens,Betty a repris du service ».
Perso, et pour les mêmes raisons que pour le téléphone, je n’ai jamais rien reçu. Pourtant, je me souviens d’avoir écrit beaucoup … mais à qui ? D’ailleurs, je pense qu’il y a plus de lettres qui sont parties de Comblain que l’inverse. Ce serait intéressant d’en trouver traces.
Voici quelques années, alors que je commençais à m’intéresser aux cartes postales anciennes de Comblain, je suis tombé par hasard, au marché aux puces de Temploux, sur une carte postale écrite par Francine Zalobek ! J’ai été très surpris de la voir en vente sur ce marché de l’occasion ( je parle de la carte, pas de Francine ) et je l’ai achetée. C’est amusant de voir comment notre histoire a pu voyager dans le temps et dans l’espace. Je vous engage à l’avenir à être vigilant … si ça tombe, les marchés aux puces sont inondés des témoignages de notre passé … il suffirait peut-être de prendre le temps de fouiller dans tout ce fourbi … ce serait bête de rater une « occasion ».
20/11/2017 – JP Dz ( merci à Jef Rozenski pour m’avoir soufflé l’idée du thème ).
0995 : Betty Nowicki.0996 : COMBLAIN-LA-TOUR : Dans le parc : Richard Konarski ; Betty Nowicki.0997 : COMBLAIN-LA-TOUR : Dans le parc : Monsieur Nowicki ; Annie Nowicki ; Daniel Pietka ; Erik Nowicki ; Jean-Pierre Dziewiacien ; Betty Nowicki ; Eddy Nowicki.0998 : COMBLAIN-LA-TOUR – 1972 : Carte postale : Envoyée par Francine et Georges Załobek.0999 : COMBLAIN-LA-TOUR – 1978 : Carte postale : Envoyée par Olivier ( ? ).
Merci à tous ceux qui sont venus … parfois de très loin.
Merci aux organisateurs et spécialement à Raymond Mielcarek.
Merci à Henryk Tomczak pour la splendide photo.
J’espère qu’on donnera envie à tous les autres Anciens de Comblain de nous rejoindre l’année prochaine.
Il n’avait pas tort, notre brave Joseph ( Joseph Huberty, le conteur wallon de Comblain-la-Tour ) quand il disait : « Le chemin de fer balafre « noss vièdge». C’est vrai, cette ligne de chemin de fer … en plein milieu du village … c’est comme une cicatrice, comme une blessure qui sépare le village en deux. D’un côté, la Rue du Parc, la Place du Wez et notre Centre polonais, coincés entre le rail et l’Ourthe, de l’autre côté, la Rue du Vicinal et le reste de la bourgade.
Cette impression est d’autant plus forte que la ligne ferroviaire a été construite largement en remblai. Le mur de soutènement est massif, imposant et monumental. Saviez-vous qu’à l’origine, il n’existait que deux moyens de passer d’un côté à l’autre du remblai : le petit pont au niveau de la Place du Wez et le « viaduc » construit juste en face de l’entrée du Centre Millennium. La Place du Wez était d’ailleurs beaucoup plus grande avant tous ces travaux ; elle partait de la rivière jusqu’aux pieds des maisons de l’actuelle Rue du Vicinal. La construction du chemin de fer a réduit cette jolie place aux proportions que nous connaissons aujourd’hui.
Autre constat, la Rue du Parc est légèrement en pente ; le point bas est justement la maison polonaise. Du coup, le passage sous le chemin de fer au « viaduc » était fréquemment noyé lors des crues de l’Ourthe. Des travaux furent entrepris pour rehausser le sol de l’ouvrage d’art … pas le plafond. Ce qui explique pourquoi ce pont nous a toujours semblé si bas. Souvenez-vous, nous nous amusions, à l’époque, à toucher la voûte en montant sur l’accotement en pierre. Mais après ces aménagements, l’ouvrage ne permettait plus le passage des camions ou des charrettes chargées. Ce qui imposa la construction d’un passage à niveau dans le prolongement du pont ( érigé en 1873 ). C’était au départ, un passage à niveau occasionnel muni d’une simple barrière pivotante, ouverte à la demande par le personnel de la gare. En 1930, on la remplaça par une barrière roulante actionnée par une manivelle, puis en 1970 par des bras articulés qui furent automatisés en 1977.
Mais revenons au chemin de fer, c’est en 1866 que fut inaugurée la ligne de chemin de fer Liège / Jemelle.
C’était le point final d’un travail colossal. En effet, il fallut tout d’abord combler en 1864 le canal (1) dont la construction avait été stoppée en 1830 et percer le tunnel Keppenne (2) de 393 m. Ce qui exigea la force de travail de 200 ouvriers dont de nombreux étrangers … déjà ! Comme les comblinoises étaient particulièrement charmantes, certains d’entre eux n’hésitèrent pas à convoler avec les belles villageoises. Certains ouvriers étaient venus avec leur famille, la population scolaire s’en trouva ainsi quasi doublée.
La construction du chemin de fer causa la fin des si pittoresques « bètchètes » qui naviguaient sur l’Ourthe : le minerai de fer venu de Lorraine, par chemin de fer, revenait désormais moins cher que celui des filons de la vallée. La 2ème voie du chemin de fer fut construite en 1907. Elle aida puissamment à l’exploitation des carrières (3). Les digues hollandaises rompues par les violentes marées de l’hiver 1953, furent comblées grâce aux pierres des Hayires ( c’est cette carrière à côté de laquelle nous passions pour aller au camp des Gitans ).
Derrière la gare, on peut voir le monticule « Tiér des Pourcês » (4), appelé aussi la « Roche conique » au pied duquel passait un vicinal à vapeur (5) qui amenait les troncs d’arbres que l’on transbordait, à la force des bras, sur les wagons du train. Une vaste aire de manœuvre servait au transbordement des marchandises, du bois et des pierres d’un wagon à l’autre, car aucun de ces wagons que ce soit ceux de la carrière, ceux du vicinal ou du chemin de fer n’avaient le même écartement !
Quant à la gare, elle connut plusieurs « looks » différents. Celle d’origine, fut remise en état en 1949, puis démolie en septembre 1976 et remplacée par un simple abri.
Le personnel de la gare vers 1910, comprenait : le chef et le sous-chef de gare, l’employé délivrant les coupons et bordereaux d’expédition, le chargeur, les manutentionnaires dont le desservant du château d’eau, ainsi que le machiniste qui répartissait les wagons sur les différentes voies. Tous ces emplois ont progressivement disparu. Les temps ont bien changé …
Une dernière chose encore … la Vierge du Rocher, qui protégeait les marins des « bètchètes » contre les remous dangereux au pied des Tartines, disparut en 1866 lors de la construction du chemin de fer. En effet, le passage de la voie ferrée obligea les ouvriers à tailler dans la roche. Ce n’est qu’en 1949 que l’abbé Gielen la fit remplacer par la Vierge que nous avons connue et … tant fréquenté.
13/11/2017 – JP Dz
NB : Le canal (1) ; le tunnel Keppenne (2) ; les carrières (3) ; le « Tiér des Pourcês » (4) et le vicinal à vapeur (5), feront l’objet d’un prochain article. Nous n’avons pas fini de revisiter Comblain …
0984 : COMBLAIN-LA-TOUR : Le quartier de la gare : Aujourd’hui.0985 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0986 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0986 b : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0987 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0988 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Mme Rosine Dujardin, la garde barrière.0989 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0990 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0991 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0991 b : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0992 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Jadis.0993 : COMBLAIN-LA-TOUR : La gare : Le personnel de la gare.0994 : COMBLAIN-LA-TOUR : Sous le « viaduc » : JP Dz.
Vous souvenez-vous de vos 20 ans ? N’était-ce pas la période la plus heureuse de votre vie ? Et entre 20 et 25 ans qu’avez-vous fait ? Peut-être vous êtes-vous mariés … peut-être avez-vous eu votre premier enfant … que des souvenirs d’une grande douceur.
Lui, quand il a eu 20 ans, la guerre s’est abattu sur son pays … Et comme il était scout et qu’il voulait défendre ses idéaux … il a été enfermé dans les camps de la mort.
Voici donc le deuxième témoignage poignant d’un des nôtres qui évoque ses années d’enfer. Après Ks Kurzawa, c’est le tour de Pan Zbigniew Bardo.
Aujourd’hui, Monsieur et Madame Bardo reposent en paix au cimetière d’Houdeng-Goegnies. Si vous souhaitez un jour leur rendre hommage, c’est facile. Le cimetière est immense, mais il n’y a qu’un seul arbre, là-bas tout au fond, et c’est au pied de cet arbre qu’ils ont choisi de se blottir pour l’éternité.
Anna Platek, née le 21/07/1925 et décédée le 09/12/2011 Zbigniew Bardo, né le 10/03/1919 et décédé le 25/01/2012.
Schutzhäftling Nr 10735 meldet sich zum Stelle – Le détenu Nr 10735 déclare son arrivée au travail
Zbigniew Bardo – Belgique
C’est après l’avoir perdue que l’on mesure la valeur d’une chose.1
Il en fut de même avec nous, jeunes fréquentant encore l’école ou l’ayant quittée depuis peu, la tête pleine de rêves, de projets pour l’avenir. La vie n’était-elle pas devant nous ? Personne n’imaginait ce qui allait frapper notre Patrie, et par là même chacun de nous, ce 1er septembre 1939 de funeste mémoire. L’invasion barbare venue de l’ouest, l’occupation de notre Pays, la perte de la liberté.
Quelle horrible réalité – personne ne pouvait l’accepter et … nous ne l’avons pas fait. Dès 1939 apparurent les germes d’un mouvement de résistance qui réunit en ses rangs non seulement des militaires mais également des étudiants et des scouts. Au printemps de l’année suivante, la Gestapo effectua des arrestations dans toute la région des Carpathes, de Jarosław à Cracovie. Les victimes en furent, pour la plupart, les intellectuels et les jeunes gens, déportés vers l’inconnu. Par après, après un court séjour à la prison de Tarnów, ils furent transportés à Auschwitz.
Ce sont Eux – les 728 prisonniers politiques du transport de Tarnów – que l’histoire retiendra comme étant les premiers internés du camp de concentration « K.L. Auschwitz » et la date du 14 juin 1940 comme la mise en œuvre de cet horrible camp de destruction et d’extermination.
Le nombre de prisonniers crût rapidement suite aux actions zélées menées par la Gestapo sur l’ensemble du territoire du Gouvernement général.2
Les transports provenant de Varsovie, de Tarnów, de la Silésie, de Cracovie et d’autres régions firent grimper le nombre de prisonniers. La mortalité décima les rangs de la population du camp. L’inscription « Arbeit macht frei» 3 surmontant la grille d’entrée devint ici une parodie : libre, oui mais via la cheminée des fours crématoires.
Le programme du jour était varié ; les kapos et les SS s’en chargeaient. C’était à celui qui ferait preuve de plus d’inventivité dans les tortures infligées à des innocents.
Durant les premières semaines du camp de concentration nouvellement mis sur pied, il n’y avait pas beaucoup de travail. Pour empêcher l’inactivité, on nous obligeait toute la journée à pratiquer du sport, sous les coups et les coups de pieds. Et quel sport ! Sauter, tourner, danser, s’accroupir, courir, etc. La pratique de ce sport a entraîné nombre de décès, surtout parmi les prêtres et les Juifs qui étaient particulièrement soumis aux brimades.
Parmi ces malheureux qui ont étrenné le camp se trouvaient beaucoup de mes camarades de classe. J’ai partagé leur sort quelques mois plus tard. Arrêté par la Gestapo, je me suis retrouvé au camp de concentration d’Auschwitz après être également passé par la prison de Tarnów.
Le train pénètre sur une voie d’évitement, le bruit régulier des roues des wagons brisant le silence de la nuit nous indique que nous roulons toujours … et soudain, le silence. Les portes des wagons s’ouvrent brutalement et quelqu’un hurle de l’extérieur : « Loos ! loos ! alles raus ! verfluchte banditen » (sic).
Nous sautons les uns par-dessus les autres, du haut des wagons directement sur les SS qui forment une haie ininterrompue jusqu’à la porte d’entrée de ce qu’on appelle « bauhof » 4. Effrayés, battus, piétinés, nous nous rangeons par cinq. Après un comptage méticuleux, on nous fait entrer à l’intérieur du camp où, entassés dans une seule salle, nous avons attendu le signal annonçant le début de la journée.
Le 24 juin 1944 fut un jour mémorable dans la vie du camp. L’alarme retentit à 11 heures 45 puis ce fut l’enfer sur terre. Pendant une dizaine de minutes, les terrains jouxtant le camp furent bombardés.
Plus de 700 prisonniers et autant de civils et de militaires furent tués. Mais en même temps furent détruits les ateliers et les garages contenant tout l’équipement d’une division blindée.
Tels furent mes débuts et ceux de mes 786 compagnons amenés au camp de concentration de Oświęcim depuis la prison de Tarnów.
Et après …. Chacun de nous a connu un sort différent et malheureusement tous n’ont pas eu la chance de survivre et de retrouver la liberté. J’appartiens à ceux, très peu nombreux, qui sont restés afin de témoigner de ce qu’il s’était passé.
Nous, les prisonniers politiques, avons vécu des moments semblables, à l’exception de ces chanceux qui faisaient partie du groupe que l’on appelait « les prominents » 5. Chacune de leur vie constituait une page de l’histoire tandis que nous, masse des anonymes, nos vies ne différaient guère.
Les multiples travaux obligatoires effectués au sein des commandos de travail, avec une alimentation minimale, sous les coups et brimades des kapos, nous épuisaient et nous amenaient rapidement à l’état de « musulmans » 6.
Appel matinal. Le responsable du bloc débite une série de numéros et j’entends subitement : « 10735 ». C’est le mien et je prends peur car je ne sais pour quelle raison on me dit de me présenter devant la grille après l’appel. Effrayé, j’attends avec le groupe des autres « élus » devant la porte du chef de bloc. Qu’elles sont longues ces minutes d’attente dans l’incertitude ! Cette fois pourtant, cela valait la peine d’attendre car j’ai été muté pour le travail au D.A.V. ( Deutsche Ausristung Verke ), à la menuiserie, c’est-à-dire sous un toit.
Ô mon Dieu ! Est-ce possible ? Est-ce vrai que mes rêves se réalisent ? Merci à Vous Seigneur et à Vous Très Sainte Mère pour votre protection.
J’ai été affecté au travail dans un hall où grondaient 70 machines pendant toute la journée et où nous étions exposés à un nuage très dense de poussière de bois. En revanche, il faisait chaud et sec. J’ai travaillé avec un prisonnier de guerre russe remplacé peu après par un Français. Ensuite, suite à un accident de ce dernier, j’ai eu pour compagnon de travail, et jusqu’à la fin, Mietek venu d’Oświęcim.
Au début de l’année 1945, l’atmosphère au camp deveint tendue ; différentes nouvelles, différentes rumeurs circulent. Nos autorités – ces messieurs du « Herrenvolk » 7 – ne cachent plus leurs doutes … Notre nombre croît rapidement jusqu’à atteindre, fin mars, 66.000 unités ; nous partageons à quatre un lit étroit. On commence à entasser les nouveaux arrivants sur le territoire du D.A.V. Le travail est interrompu.
Toute notre équipe de pompiers est transférée définitivement à la menuiserie pour aider au maintien de l’ordre.
Il se passe quelque chose. Nous ressentons à la fois de la joie et de l’inquiétude. Que va-t-il se passer et comment ? Cette question que chacun se pose et dont il quémande la réponse auprès des autres, reste l’inconnue suivante.
L’évacuation du camp dure depuis trois jours. Différents groupes – grands ou plus petits – sont emmenés ; vers l’inconnu. Au début, le camp est évacué par commandos et ensuite par blocs afin que le plus grand nombre possible de détenus quittent le camp. Le 10 mars, après l’appel du soir, exceptionnellement chaotique, chacun part rejoindre son bloc. Mietek – 10945 – se précipite chez moi, énervé, porteur d’une triste nouvelle : le lendemain son bloc sera évacué.
« Sais-tu ce que cela veut dire ? Plus jamais, sans doute …. ».
Il ne put terminer sa phrase, des larmes inondèrent ses yeux. On ne se connaissait que par nos prénoms et nos numéros mais nous étions unis par la misère et le travail.
« Bien, lui répondis-je, viens ici très tôt demain matin, on verra. ».
Je ne pus fermer l’œil de toute la nuit. Les idées se bousculaient dans ma tête. Qu’allions-nous subir le lendemain ? Comment sauver Mietek ? Je me suis abandonné à la Très Sainte Mère. Elle nous protégera, Elle ne nous abandonnera pas !
Au matin du 11 avril ( sic ) 1945, la tension et l’excitation étaient à leur comble. Mietek entra brusquement.
« Et alors, on pourra faire quelque chose ? » demanda-t-il apeuré ?
Le sauver, oui mais comment ? Soudain, me vint une idée. « Viens ! ».
Dans le noir, nous entrâmes dans le hangar où l’on stockait le fer. Mietek entra dans le tas de ferraille disposé dans un coin, je lui apportai des couvertures. Je vins régulièrement lui faire part des nouvelles.
Jusque midi, 45.000 de nos compagnons furent emmenés dehors, vers l’inconnu ; pour la plupart, ce fut leur dernier voyage.
Et nous ? Nous restâmes sur place car, les troupes américaines encerclant toute la montagne, les évacuations furent stoppées à midi.
Depuis le matin, nous entendions le bruit des tirs. Le front se rapprochait rapidement. Les heures se traînaient. Interdiction de sortir du bloc. Aux fenêtres, on apercevait des visages aux yeux exorbités, à l’affût de la liberté. Vers trois heures nous remarquâmes que les troupes allemandes se repliaient rapidement depuis les bois environnants. Les tirs se rapprochèrent, nous les entendions de plus en plus distinctement, les balles sifflaient au-dessus des blocs.
Soudain … à 16 heures, on entendit un cri dans le camp, un cri de bonheur.
Je me précipitai vers le portail … je regardai …. un drapeau blanc y flottait déjà. Le portail était ouvert. Je courus vers le hangar où se trouvait mon ami et je lui hurlai : « Mietek !!! Mon Dieu !!! La Liberté !!! »
Cette date du onze avril mille-neuf-cent-quarante-cinq, aucun de nous ne l’oubliera jamais.
Ce jour sera pour moi, et pour nous tous qui avions survécu au camp, un jour mémorable pour le reste de notre vie. Nous l’avions attendu ô combien d’années !! Nous l’avions attendu, nous en avions douté, nous en avions rêvé. Et ce jour était arrivé.
Je ressentis une immense satisfaction, plus grande sans doute à cet instant que la joie même de vivre. J’étais satisfait d’avoir survécu. Satisfait qu’Hitler ne vivait plus, que l’hitlérisme était mort, que la bête avait été abattue. Que les miens avaient été vengés et que moi je vivais la défaite de leurs meurtriers.
De tous les blocs se répandirent des foules de gens qui hurlaient de joie, couraient vers le portail, n’en croyant ni leurs yeux ni leurs oreilles qu’ils avaient vécu assez longtemps pour retrouver la liberté. Ce n’est qu’à 18 heures que le premier char américain pénétra dans le camp. Eux seuls, nos premiers libérateurs, sont à même de décrire la joie qu’ils ont vue et les cris qu’ils ont entendus.
Les prisonniers – non, plus des prisonniers mais, à nouveau, des hommes libres – embrassent l’acier du tank, embrassent les mains des Américains, se hissent sur leurs orteils afin de pouvoir les toucher, leur serrer la main.
Le lendemain matin, NOUS avons organisé l’appel. Il restait 21.000 prisonniers vivants et un grand nombre de morts qui n’avaient pu survivre jusqu’à ce jour tant désiré : le jour de la LIBERTE.
Après l’appel, les groupes se rassemblèrent : Polonais, Français, Russes, Tchèques, Belges, Hollandais. Des drapeaux apparurent, des chants se firent entendre, des hymnes retentirent, les premiers hymnes indépendants à Buchenwald (sic). Les gens chantent et pleurent. Même ceux qui, confrontés à ces nombreuses années de mort, sont restés sans pleurs ne peuvent retenir leurs larmes et n’ont pas honte de ces larmes versées devant la vie renaissante.
Au-dessus du groupe des Polonais flotte le drapeau blanc et rouge et on entend un chant : … Póki my żyjemy …8
Les soldats américains, debout sur leurs chars, saluent les drapeaux et les hymnes et ils nous saluent.
Par les larmes et les chants, le regard s’échappe à travers ce portail grand ouvert qui annonce la liberté et la vie, et se porte plus loin vers les sommets et même au-delà, vers le nord, vers l’est, là où se trouve la POLOGNE !!!!!
1 : NdT : à rapprocher des vers célèbres d’Adam Mickiewicz dans Pan Tadeusz (Messire Thadée)
Litwo, Ojczyzno moja! ty jesteś jak zdrowie ; Lituanie, ô ma patrie ! Tu es comme la santé;
Ile cię trzeba cenić, ten tylko się dowie, Seul celui qui te perdra, pourra découvrir Kto cię stracił. Combien il faut t’apprécier.
2 : NdT : Le Gouvernement général de Pologne est une entité administrative mise en place sur la partie du territoire de la République de Pologne contrôlée – mais non incorporée – par le Troisième Reich, selon le décret signé par Hitler le 12 octobre 1939. Le Gouvernement général fut confié au ReichsleiterHans Frank, nommé pour l’occasion Gouverneur Général de Pologne.
3 : « Le travail rend libre »
4 : NdT : Bauhof est un espace de stockage pour les matériaux de construction et les machines des entreprises de construction et des administrations.
5 : NdT : Prominent : privilégié, personnage important, doyen, chef de Bloc, chef de chambrée, Kapo et sous-Kapo ; personnalité.
6 : NdT : L’état de Musulman est caractérisé par l’intensité de la fonte musculaire ; il n’y a littéralement plus que la peau sur les os. On voit saillir tout le squelette et, en particulier, les vertèbres, les côtes et la ceinture pelvienne. Cette déchéance physique s’accompagne d’une déchéance intellectuelle et morale. Elle en est même souvent précédée. Lorsque cette double déchéance est complète, l’individu présente un tableau typique. Il est véritablement sucé, vidé physiquement et cérébralement. Il avance lentement, il a le regard fixe, inexpressif, parfois anxieux.
7 : NdT : La race des seigneurs est un terme inventé par les Nazis. «Les individus de « sang allemand » appartenaient à la « race des seigneurs » promise à un destin particulier et héroïque, et avaient donc le droit, dans leur recherche « d’espace vital », de soumettre, dominer ou exterminer les autres « races et peuples. » Source : Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
8 : NdT : L’hymne national polonais est le « Mazurek Dąbrowskiego » – « La mazurka de Dąbrowski ». Les paroles ont été écrites en 1797 par Józef Wybycki. L’auteur de la mélodie, basée sur les motifs d’une mazurka du folklore, est inconnu. Le « Mazurek Dąbrowskiego » a été adopté en tant qu’hymne national le 26 février 1926.
Il commence par ces mots : « Jeszcze Polska nie zginęła, kiedy my żyjemy » – « La Pologne n’a pas encore disparu, tant que nous vivons ». Beaucoup de gens déforment le deuxième vers et remplacent « kiedy » par « póki ».
Un immense merci à André Karasinski pour ce travail titanesque de traduction.
06/11/2017
0977 : Cimetière d’HOUDENG-GEOGNIES : La tombe de Mr et Mme Bardo.0978 : Cimetière d’HOUDENG-GEOGNIES : La tombe de Mr et Mme Bardo.0979 : Cimetière d’HOUDENG-GEOGNIES : La tombe de Mr et Mme Bardo.0980 : Cimetière d’HOUDENG-GEOGNIES : La tombe de Mr et Mme Bardo.0981 : Biographie d’anciens prisonniers politiques des camps de concentration allemands : Page 31 : Pan Zbigniew Bardo.0982 : Biographie d’anciens prisonniers politiques des camps de concentration allemands : Page 32 : Pan Zbigniew Bardo.0983 : Biographie d’anciens prisonniers politiques des camps de concentration allemands : Page 33 : Pan Zbigniew Bardo.