0346 – L’avertissement de Biskup

Suite des récits racontés par Malvina Rusowicz :

L’avertissement de Biskup

Si notre arrivée à Loreto pouvait paraître cavalière, notre petit groupe de 7 s’est vite intégré. Nous formions dorénavant une fine équipe fort appréciée de tous. Nous étions inséparables et le staff des prêtres nous surnommait : Belgia. Il nous estimait car notre comportement était exemplaire, jamais, nous n’arrivions en retard aux conférences, ni aux messes, ni aux excursions, encore moins aux soirées dansantes ou récréatives. Actifs durant les débats, inventifs quand il s’agissait d’animer les soirées.

Jusqu’au moment où… on a vu Biskup Wesoły surgir inopinément dans la salle juste avant notre cours de chant. Exceptionnellement, il n’avait pas l’air content ; Oh que non ! Son regard sombre encercla l’assemblée, d’un geste auguste, il consulta sa montre et haussa le ton pour nous engueuler… « fréquentation des bars… consommation abusive de boissons alcoolisées… gueules de bois… absence aux cours… total manque de respect… et ça ne peut plus durer ! » !!!

Belgia gardait la tête haute de crainte que son auréole ne tombe par terre. Belgia savait bien se conduire ; Chaque jour sans faute, depuis notre arrivée, nous prenions l’apéro avant le repas de 13 heures à la terrasse d’un café vieillot au coin de la rue. Le rituel consistait à avaler UN verre d’un immonde breuvage nommé : « Vino rosso ». On s’en fichait, on ne connaissait rien en vin à l’époque, mais pour rien au monde, on aurait renoncé à prendre ce verre de l’amitié.

Le lendemain matin, la messe dominicale fut célébrée dans la somptueuse cathédrale de Notre Dame de Loreto. Et après, on nous laissa temps libre. Il pleuvait à seaux et ce caprice météorologique réduisait considérablement la sélection de nos loisirs… Et si nous allions nous offrir l’apéro au « Cafe do Brazil » sur la grand’place ? Malgré l’avertissement de Biskup, la veille, nous adoptâmes la proposition à l’unanimité.

Mes amis, quel luxe ! Partout, d’énormes bouquets de fleurs harmonieusement disposés, des banquettes tapissées d’épais velours bois de rose avec les tentures assorties et de grands miroirs aux murs ! Pour sortir de l’établissement, il fallait se frayer un étroit passage ménagé entre les chaises de la terrasse couverte bondée de monde qui fuyait l’orage. Et ainsi en file indienne, l’un après l’autre, nous aboutîmes à la table occupée par… tout l’état-major des curés qui consommaient de petites gouttes dans des petits verres !

Poliment, Belgia salua tout ce beau monde d’un : « Na zdrowie » acquiescé de quelques sourires en coin. Prises toutes deux en flagrant délit, je me demande quelle équipe se sentit la plus gênée à ce moment-là. Mais comme on dit : « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».

Malvina Rusowicz

3.210 : Loreto 1976
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Commentaire :

Malvina a raison … nous « Belgia » jouissions d’une excellente réputation durant ces journées brûlantes de l’été 1976 à Loreto. Pourtant, au départ ce n’était pas gagné !

Nous n’étions que 7 à venir de Belgique cette année-là. Tous des anciens de Comblain et fiers de l’être. En face de nous, il y avait 80 autres participants … 1 français, 2 danois, 1 ou 2 polonais de Pologne … mais l’immense majorité des jeunes présents venait d’Angleterre avec leur staff, leur mode de fonctionnement et leurs habitudes.

Dès le premier jour de notre arrivée, alors que nous nous installions dans une des grandes chambres de garçons, en compagnie d’une demi-douzaine d’anglais, la « musculation » entre mâles a commencé. Enhardis sans doute par la force du nombre, nos nouveaux amis ont eu l’envie d’en découdre ; comme ça, gentiment, histoire d’imposer un « leadership » et d’asseoir une réputation. Restait à savoir qu’elle discipline allait servir au duel.

Rapidement, c’est le góralski qui fut choisi pour déterminer le vainqueur : le plus « viril » serait le candidat choisi par son pays qui serait capable d’exécuter le plus de ciseaux dans la position accroupie. J’étais serein et sûr de moi … trop. Jusqu’ici, c’était une de mes spécialités et je ne craignais personne. J’ai donc défié l’Angleterre …en affirmant que je ferais deux fois plus que leur champion. Mais … je ne connaissais pas mon adversaire et … il s’est avéré plus coriace que prévu.

J’ai donc été enfermé dans la salle de bain, pour ne rien voir, pendant que mon rival britannique s’appliquait. Par chance, tous les autres spectateurs comptaient si bruyamment, que j’entendais tout. Quand il est arrivé à 100 ciseaux, j’ai bien cru que mon orgueil allait me punir. Heureusement, il est tombé finalement à 106 ! Ce qui est prodigieux !

Quand on m’a enfin libéré, Marek Bujanowski m’a dit à l’oreille : « Ça va être terrible, il est très fort … ».

Je me suis appliqué à mon tour… avec toute l’énergie du désespoir. La victoire des belges en dépendait et sans doute que mon orgueil piqué au vif m’a soutenu dans l’effort. Finalement, je me suis écroulé après 215 ciseaux, pulvérisant mon propre record.

En parfait « gentleman », nos adversaires ont reconnu leur défaite et nous ont offert la bouteille de vin qui faisait l’objet du pari et, que nous avons bu tous ensemble. Une bouteille de vin à partager en 10 … c’était surtout symbolique. Après ça, les 7 petits polonais de Belgique ont inspiré le respect.

Aujourd’hui, quasi chaque matin, quand j’essaie d’enfiler mes chaussettes … je repense à cet épisode en me disant : « On ne peut pas être et avoir été » !

Jean-Pierre Dziewiacien

0345 – En route vers Loreto

Voici quelques anecdotes racontées et écrites par Malvina Rusowicz :

Au temps de notre jeunesse, il n’y avait pas seulement les jolies colonies de vacances à Comblain-la-Tour, il y avait également le « kurs Loreto ». Les voyages forment la jeunesse.

Un voyage mémorable

J’étais particulièrement heureuse cet après-midi-là entre Juillet et Août1976. La raison ? Très simple : d’abord, j’avais 20 ans (souvenez-vous en) j’étais hyper amoureuse, fraîchement fiancée de surcroît, et là à Bruxelles, sur un quai de gare surchauffé, je me préparais à partir en Italie en compagnie d’anciens colons de Comblain que j’aimais beaucoup : Annie, Zosia, Aline, Jean-Pierre, Marek et Jerzyk. Quelle agréable rencontre !

L’excitation de notre rencontre surprise et la perspective de passer nos vacances ensemble nous submergeaient de joie… Nous retrouvions à cet instant nos 13, 14 peut-être 15 ans, tant à nous raconter et l’envie de rire.

Alors, tous entassés dans le compartiment réservé aux filles (pas question de mixité à l’époque… chacun chez soi), dans notre compartiment donc, nous chahutâmes jusque très tard.

Tandis que nous nous remémorions nos frasques et nos aventures de Comblain-la-Tour, une nombreuse famille italienne prit possession du fief des garçons et dormait paisiblement à leur place. À la guerre comme à la guerre : nous nous sommes relayés tantôt pour somnoler brièvement, tantôt pour monter la garde dans le couloir.

C’est alors que… des grognements semblables à ceux d’un ours nous éveillèrent. Ouf ! Pas de plantigrade dans les parages. Seul un Jean-Pierre râlant, armé d’un petit couteau, agenouillé en plein passage dans l’étroit couloir et perquisitionnant son sac de voyage à la recherche du lapin que sa maman lui avait préparé pour la route. Ouh, qu’il était fâché ; car évidemment plus il grommelait, plus il nous donnait envie de rire. (je crois bien qu’il ne l’a jamais trouvé son lapin, mais nous qu’est-ce qu’on a rigolé).

Le lendemain matin, anéantis par le choc thermique, barbouillés par manque de sommeil, nous dûmes admettre que personne ne nous attendait, comme prévu, à la gare d’Ancona où nous venions de poser nos bagages. Par galanterie les garçons nous laissèrent nous reposer un peu, tandis qu’ils essayaient de se renseigner. Mais à mon avis, ils n’ont pas très bien compris…

Nous grimpâmes dans un antique tortillard tout droit sorti d’un épisode de « Don Camillo » : banquettes en bois clair verni, vues panoramiques du pays … direction Loreto. Le soleil, quant à lui, s’était fait la malle accentuant davantage l’atmosphère pesante et étouffante sous un ciel d’une noirceur inquiétante. Arrivés finalement en gare de Loreto, le chef de gare, nous indiqua que la pension se situait de l’autre côté de la colline dressée devant nous. L’ascension commença.

Personne ne disait mot, la fatigue, l’accablante température et puis quoi ? On traversait le cimetière local quand même ! Le chemin de croix sur la gauche nous permettait quelques minutes de pause devant chaque Station car la pente était raide et le sommet de la colline encore loin. Soudain une nuée creva et nous versa toute la pluie du ciel sur le dos en nous forçant à hâter le pas. Enfin, on entendit des voix, des joueurs de cartes s’engueulaient sous une pergola enguirlandée de vigne, dans une rue bien proprette et tranquille encore ruisselante de pluie. La sieste était terminée ce dimanche-là et le soleil commençait à nous sécher.

Encore quelques mètres et nous voilà enfin devant la « Casa San Gabriele ». Le prêtre qui nous ouvrit la porte nous informa que personne ne nous attendait avant le lendemain soir. Nos places étant réservées dans l’autocar français. Il y eut dysfonctionnement certes mais quel joyeux périple à Loreto, pas vrai les copains ? Le séjour qui s’ensuivit s’inscrit dans le top10 de mes plus belles vacances même si André m’a manqué un peu.

21/11/2021 – Malvina Rusowicz 

En route vers Loreto : Malvina Rusowicz et Annie Nowicki.
En route vers Loreto : Malvina Rusowicz et Annie Nowicki.

Jean-Pierre Dziewiacien :

Voyage mémorable ! Moi aussi j’avais 20 ans. Quand on y pense, entre Bruxelles-midi et Loreto, nous avons passé un paquet d’heures confinés dans ce wagon … mais j’en garde un souvenir délicieux. Comme quoi : être confiné ce n’est pas si terrible quand … on est en bonne compagnie. Par contre, j’ai complètement zappé l’épisode du lapin ! Pourtant, un lapin qui vous pose un lapin … c’est pas banal. J’aurai dû m’en souvenir.

0344 – Tout n’est pas dit …

« Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent ». C’est par ces mots que Monsieur de La Bruyère commençait son ouvrage unique intitulé : « Les Caractères » en 1688 … ça ne l’a pas empêché d’écrire quelques-unes des plus belles pages de la littérature française.

« Tout est dit … » disait-il … pourtant depuis 1688, il y en a encore eu des écrivains, des romanciers, des conteurs, des diseurs et qui ont écrit, raconté et dit des choses fabuleuses. Des millions et des millions d’ouvrages sont parus … tous plus intéressants les uns que les autres.

Si on s’était arrêté à « Tout est dit » que n’aurions-nous pas perdu ?

Loin de moi l’idée ( très très loin d’ailleurs ) que comparer l’œuvre de La Bruyère à nos petits récits d’adolescents des bords de l’Ourthe. Pourtant, depuis quelque temps déjà, la tentation d’arrêter là ces évocations si lointaines, si nostalgiques, et de passer à autre chose me tourmente. Je me dis : « Tout a été dit … que pourrait-on encore ajouter ? ». Et puis – heureusement – dans un sursaut de lucidité, je repense à Monsieur de La Bruyère et surtout à tout ce qui a été écrit … après lui.

Il y a quelques années déjà, nous avons commencé ensemble à raconter ce que furent ces années d’insouciance. Si ces évocations nous ont paru si agréables, c’est qu’elles nous replongeaient dans un environnement dans lequel il faisait si bon vivre. Non pas pour fuir – ou critiquer – le présent, mais simplement pour soupirer d’aise en pensant à la chance que nous avons eue de vivre ça. Aujourd’hui, je n’ai pas le courage de refermer ce livre-là et de le ranger au fond du tiroir.

Alors, soyons-en sûrs tout n’est pas dit ! Au contraire … tout reste à dire.

Tant qu’il y aura, en chacun de nous, quelques souvenirs à partager, quelques anecdotes, quelques histoires drôles, ou pas drôles, à mettre en commun, tant qu’il restera à rappeler des détails, des fous rires, des émois, des fiertés et des déconvenues, tout ne sera pas dit.

Et inutile de faire le tri entre l’essentiel et l’anecdotique. Dans notre mémoire tout se mélange. C’est souvent l’anecdotique qui occupe le plus de place, qui nous fait le plus de bien, qui nous fait sourire bêtement, tout seul, mais qui est l’essence même de ce que nous sommes et de ce que nous avons été. Comment pourrions-nous croire que notre histoire commune s’arrête ici, s’il reste encore tant d’anecdotes à faire remonter à la surface ?

Surtout qu’entre temps, nous sommes redevenus une grande famille. D’ailleurs, on n’arrête plus de se souhaiter « bon anniversaire » et de se chanter « Sto lat » … c’est presque tous les jours. Nous avons retrouvé le sentiment d’êtres « entre nous ».

Alors voilà ce que je vous propose – ce sera un nouveau chapitre dans les aventures des Anciens de Comblain – : racontez-nous vos « petites » anecdotes … celles qui vous ont fait sourire, rire et peut-être pleurer. Ne retenez plus, rien que pour vous, ces petits incidents qui sont restés gravés dans le plus profond de vos souvenirs et auxquels vous repensez de temps en temps en souriant intérieurement. Partagez-les ! Lâchez-vous ! Osez ! Que risquez-vous ? Nous sommes entre nous !

Pour vous donner du courage, je vous invite à relire ce petit texte de Rudyard KIPLING ( celui du Livre de la jungle ) :

« Rire, c’est risquer de paraître fou …

Pleurer, c’est risquer de paraître sentimental …

Tendre la main, c’est risquer de s’engager …

Montrer ses sentiments, c’est risquer de s’exposer …

Faire connaître ses idées, ses rêves, c’est risquer d’être rejeté …

Aimer, c’est risquer de ne pas être aimé en retour …

Vivre, c’est risquer de mourir …

Espérer, c’est risquer de désespérer …

Essayer, c’est risquer de faillir …

Mais nous devons en prendre le risque !

Le plus grand danger dans la vie est de ne pas risquer

Celui qui ne risque rien … ne fait rien … n’a rien … n’est rien ! »

Rudyard KIPLING

Alors à vos plumes ! Nous avons hâte de vous lire.

18/11/2021 – JP Dz

Dominique Ogonowski :

1ère anecdote croustillante : les garçons étaient sortis au soir en cachette et à leur retour ils étaient un peu ( ou beaucoup ) bourrés, et j’ai vu Jerzy Bardo qui faisait pipi par la fenêtre du 2ème étage, c’était la chambre des garçons de la maison rouge.

Milczanowski Véronique :

Un beau soir, on avait décidé de mettre le bazar ( je reste relativement polie ! ) au camping en face ! Donc, armées ( nous n’étions que des filles : 3 il me semble… ) de notre courage et de dentifrice, nous avons traversé le gué de l’Ourthe que nous connaissions bien, et nous avons enduit de dentifrice les poignées des caravanes et des voitures, et nous avons enlevé les piquets des tentes…….

Je ne vous raconte pas l’appel, le matin, avec ksiądz Kurzawa !!!… Ni les cris du camping d’en face !!!

Weronika !!!!! Je ne sais pas comment il savait mais,….. il savait !

Et ma complice de toujours, Dominique, a été aussi appelée il me semble !