Suite des récits racontés par Malvina Rusowicz :
L’avertissement de Biskup
Si notre arrivée à Loreto pouvait paraître cavalière, notre petit groupe de 7 s’est vite intégré. Nous formions dorénavant une fine équipe fort appréciée de tous. Nous étions inséparables et le staff des prêtres nous surnommait : Belgia. Il nous estimait car notre comportement était exemplaire, jamais, nous n’arrivions en retard aux conférences, ni aux messes, ni aux excursions, encore moins aux soirées dansantes ou récréatives. Actifs durant les débats, inventifs quand il s’agissait d’animer les soirées.
Jusqu’au moment où… on a vu Biskup Wesoły surgir inopinément dans la salle juste avant notre cours de chant. Exceptionnellement, il n’avait pas l’air content ; Oh que non ! Son regard sombre encercla l’assemblée, d’un geste auguste, il consulta sa montre et haussa le ton pour nous engueuler… « fréquentation des bars… consommation abusive de boissons alcoolisées… gueules de bois… absence aux cours… total manque de respect… et ça ne peut plus durer ! » !!!
Belgia gardait la tête haute de crainte que son auréole ne tombe par terre. Belgia savait bien se conduire ; Chaque jour sans faute, depuis notre arrivée, nous prenions l’apéro avant le repas de 13 heures à la terrasse d’un café vieillot au coin de la rue. Le rituel consistait à avaler UN verre d’un immonde breuvage nommé : « Vino rosso ». On s’en fichait, on ne connaissait rien en vin à l’époque, mais pour rien au monde, on aurait renoncé à prendre ce verre de l’amitié.
Le lendemain matin, la messe dominicale fut célébrée dans la somptueuse cathédrale de Notre Dame de Loreto. Et après, on nous laissa temps libre. Il pleuvait à seaux et ce caprice météorologique réduisait considérablement la sélection de nos loisirs… Et si nous allions nous offrir l’apéro au « Cafe do Brazil » sur la grand’place ? Malgré l’avertissement de Biskup, la veille, nous adoptâmes la proposition à l’unanimité.
Mes amis, quel luxe ! Partout, d’énormes bouquets de fleurs harmonieusement disposés, des banquettes tapissées d’épais velours bois de rose avec les tentures assorties et de grands miroirs aux murs ! Pour sortir de l’établissement, il fallait se frayer un étroit passage ménagé entre les chaises de la terrasse couverte bondée de monde qui fuyait l’orage. Et ainsi en file indienne, l’un après l’autre, nous aboutîmes à la table occupée par… tout l’état-major des curés qui consommaient de petites gouttes dans des petits verres !
Poliment, Belgia salua tout ce beau monde d’un : « Na zdrowie » acquiescé de quelques sourires en coin. Prises toutes deux en flagrant délit, je me demande quelle équipe se sentit la plus gênée à ce moment-là. Mais comme on dit : « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».
Malvina Rusowicz




Commentaire :
Malvina a raison … nous « Belgia » jouissions d’une excellente réputation durant ces journées brûlantes de l’été 1976 à Loreto. Pourtant, au départ ce n’était pas gagné !
Nous n’étions que 7 à venir de Belgique cette année-là. Tous des anciens de Comblain et fiers de l’être. En face de nous, il y avait 80 autres participants … 1 français, 2 danois, 1 ou 2 polonais de Pologne … mais l’immense majorité des jeunes présents venait d’Angleterre avec leur staff, leur mode de fonctionnement et leurs habitudes.
Dès le premier jour de notre arrivée, alors que nous nous installions dans une des grandes chambres de garçons, en compagnie d’une demi-douzaine d’anglais, la « musculation » entre mâles a commencé. Enhardis sans doute par la force du nombre, nos nouveaux amis ont eu l’envie d’en découdre ; comme ça, gentiment, histoire d’imposer un « leadership » et d’asseoir une réputation. Restait à savoir qu’elle discipline allait servir au duel.
Rapidement, c’est le góralski qui fut choisi pour déterminer le vainqueur : le plus « viril » serait le candidat choisi par son pays qui serait capable d’exécuter le plus de ciseaux dans la position accroupie. J’étais serein et sûr de moi … trop. Jusqu’ici, c’était une de mes spécialités et je ne craignais personne. J’ai donc défié l’Angleterre …en affirmant que je ferais deux fois plus que leur champion. Mais … je ne connaissais pas mon adversaire et … il s’est avéré plus coriace que prévu.
J’ai donc été enfermé dans la salle de bain, pour ne rien voir, pendant que mon rival britannique s’appliquait. Par chance, tous les autres spectateurs comptaient si bruyamment, que j’entendais tout. Quand il est arrivé à 100 ciseaux, j’ai bien cru que mon orgueil allait me punir. Heureusement, il est tombé finalement à 106 ! Ce qui est prodigieux !
Quand on m’a enfin libéré, Marek Bujanowski m’a dit à l’oreille : « Ça va être terrible, il est très fort … ».
Je me suis appliqué à mon tour… avec toute l’énergie du désespoir. La victoire des belges en dépendait et sans doute que mon orgueil piqué au vif m’a soutenu dans l’effort. Finalement, je me suis écroulé après 215 ciseaux, pulvérisant mon propre record.
En parfait « gentleman », nos adversaires ont reconnu leur défaite et nous ont offert la bouteille de vin qui faisait l’objet du pari et, que nous avons bu tous ensemble. Une bouteille de vin à partager en 10 … c’était surtout symbolique. Après ça, les 7 petits polonais de Belgique ont inspiré le respect.
Aujourd’hui, quasi chaque matin, quand j’essaie d’enfiler mes chaussettes … je repense à cet épisode en me disant : « On ne peut pas être et avoir été » !
Jean-Pierre Dziewiacien