Il n’y avait presque rien, là … juste un peu d’herbe, un peu d’eau, un peu de soleil … et pourtant, c’est là que nous voulions aller le plus souvent … On s’installait par terre – au milieu de rien – et on se laissait vivre.
Quand l’un d’entre nous avait pensé à rapporter une couverture, on était quinze à la partager. On passait notre temps à patauger dans l’Ourthe et ensuite à sécher, à lézarder au soleil. Quand l’un d’entre nous avait pensé à rapporter un essuie, on était quinze à se frotter « avec ». Quand l’un d’entre nous avait eu la bonne idée de rapporter une bouteille d’eau du robinet, on était quinze à boire au même goulot.
Il n’y avait rien, là … pas de toilettes, pas de confort, pas de cabine pour se changer, et encore moins de distributeurs de boissons ou de friandises. La colonie était loin et personne n’imaginait retourner jusque-là pour aller chercher ce qu’il aurait oublié. Pourtant, aussi loin que remonte ma mémoire, je pense – j’en suis même sûr – que personne n’a jamais eu l’impression qu’il lui ait « manqué quelque chose ».
Il n’y avait là ni balançoire, ni toboggan, ni tremplin pour plonger … Pourtant, personne ne s’y est jamais ennuyé …
Inutile de chercher sur les photos, vous ne trouverez ni crème bronzante protection totale, indice machin, ni lunettes de protection polarisées contre les UV, ni casquette pour se cacher du soleil. Quand le soleil tapait vraiment trop fort, on improvisait des couvre-chefs pour les plus petits avec toutes sortes de linges que l’on trempait dans la rivière pour plus de fraîcheur, le reste du temps … on ne mettait rien … ou alors, parfois, quand on en trouvait, on coupait de grandes feuilles de rhubarbe pour se les mettre sur la tête.
N’y cherchez pas non plus de spray contre les abeilles, de crème contre les fourmis, de lotion contre les démangeaisons. Il n’y avait là, ni pharmacie, ni boîte de secours, ni pansements … non pas que l’on ait été négligent ou insouciant, c’était juste la nature et nous. Tous les petits bobos se résolvaient la plupart du temps, d’eux-mêmes, on prenait sur soi, personne n’aurait songé à se plaindre pour quelques attaques de fourmis ou quelques piqûres d’orties. D’ailleurs, on nous disait que c’était bon pour la circulation, les rhumatismes, … aussi, on « souffrait » de bonne grâce et en silence …
Il n’y avait pas non plus, là, de « maître nageur agréé » … « l’agréation », c’était la confiance que l’on plaçait en nous et qui était la meilleure des garanties …
Personne n’envisageait de se protéger de la nature, de La protéger … et encore moins de La sauver. On faisait corps avec elle, on ne se sentait pas coupable de ce qui risquerait d’arriver si nos jeux improvisés nous amenaient à casser une branche ou à déplacer trois cailloux. On n’avait pas la naïveté de croire qu’on était maître de la nature ou que son sort dépendait de nous … non, on aimait simplement, véritablement la nature, à une époque où tout était évident et … naturel … c’est tout.
Il n’y avait là ni connexion, ni réseau, ni 3 G ou 4 G. On n’avait pas, non plus, internet pour nous dire quelle était la température, à un moment précis, à Johannesburg ou à Anchorage … et on s’en fichait pas mal parce que nous étions pleinement heureux d’être simplement là où nous étions ! On n’avait pas « d’appli » pour nous préciser à quelle altitude on se trouvait par rapport au niveau de la mer … et ce n’était pas trop grave, parce que ce qui nous importait, c’était de pouvoir nous asseoir ou nous étendre sur l’herbe, quelle qu’ait été sa position par rapport aux astres !
On n’était pas contraint d’envoyer ou de répondre à 145 SMS par heure parce que nos meilleurs souvenirs on les gardait précieusement dans un coin de notre mémoire pour pouvoir les raconter avec force de détails, on n’était pas obligé de « liker » la dernière blague ou le dernier potin de tel ou tel autre puisqu’on avait l’occasion de se voir en « vrai » et de se « charrier » en direct. Aucun d’entre nous n’avait envie d’user ses pouces à raconter à des « amis-qui-avaient-préféré-ne-pas-être-là » comment ça se passait ici … Nos amis, ils étaient autour de nous. On n’était pas connecté avec le reste du monde – c’était même plutôt l’inverse – et ça ne perturbait personne … bien au contraire !
On vivait l’instant présent. Personne n’avait apporté sa montre ; on comptait sur notre ventre pour nous avertir que c’était l’heure de rentrer pour manger. Et quand le soleil décidait qu’il en avait assez fait comme ça pour la journée, on rentrait, à la colonie, le cœur léger … Quant aux « followers » qui nous suivaient ( pléonasme ? ), ils étaient juste derrière, en chair et en os, en file indienne, sur l’étroit sentier qui nous ramenait chez nous … Il n’y avait là, rien de virtuel ; tout était simple, direct, concret et pourtant personne n’avait l’impression d’avoir perdu son temps … bien au contraire. On avait juste passé un bon moment à la plage.
19/06/2017 – JP Dz






