Piotr Rozenki nous parle de : Chez Pimpim :
On s’imagine les objectifs que les migrants polonais d’après-guerre tenaient à l’esprit quand ils se sont lancés dans l’organisation de colonies de vacances : passer les valeurs qui leur étaient chères, comme l’amour pour la langue et la culture polonaise. Si en même temps, on pouvait inculquer un peu de rigueur et de discipline aux bambins, cela ferait deux pierres d’un coup.
On sait comment tout cela se traduisait en pratique. Les colos, c’était surtout une tour de Babel : on entendait du polonais, bien sûr, mais aussi des phrases qui se terminaient en français ou en néerlandais. Et quand on avait le plaisir d’accueillir nos copines et copains allemands ou anglais, on faisait des pieds et des mains pour se faire comprendre dans leur idiome, surtout quand cela permettait d’arriver à nos fins …
En ce qui me concerne, c’est surtout à Comblain que j’ai appris le français, je veux dire le vrai français, les expressions et locutions politiquement incorrectes qu’on n’apprenait pas à l’école en Flandre. Outre les moins élégantes – non moins utiles pour autant mais qui n’ont pas lieu d’être répétées ici – il y en avait une qui, Dieu sait pourquoi, était enveloppée de mystères. On la susurrait à voix basse, dans un chuchotement à peine audible, le plus souvent la nuit tombée : « faire le mur« .
Un soir, afin de ne pas compromettre l’action commando « soirée garçons » qui se tramait, les moniteurs francophones ont décidé de m’initier. C’est alors que j’ai appris que cela voulait tout simplement dire : ce soir, on va faire un petit tour dans le village, inaperçu si possible. Je continuais néanmoins à me demander pourquoi ils tenaient absolument à grimper par-dessus le mur, à ma connaissance, le portail restait grand ouvert jour et nuit.
Après avoir pris soin d’assurer la permanence dans l’immeuble des garçons – à cette fin, deux moniteurs venus de Pologne étaient désignés « volontaires chinois » – on s’est lancés à la découverte du village by night, en direction de son épicentre : Chez Pimpim, le petit café sympa en face du pont. Ceux qui ont tenté l’expérience le savent : on y était toujours bien accueilli. C’est là que j’ai été initié dans les spécialités locales : liégeois, perroquet, tango … C’est là que j’ai fait connaissance de Brel ( « Ne me quitte pas », mais uniquement quand on était accompagné des monitrices ) et Brassens qui, pour un sous, sortaient du vieux juke-box. Son répertoire n’avait pas connu de mise à jour depuis une quinzaine d’années, peu importe, pour l’occasion, « Les Copains d’abord » faisait bien l’affaire :
Au moindre coup de Trafalgar
C’est l’amitié qui prenait l’quart
C’est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord
Et quand ils étaient en détresse
Qu’leurs bras lançaient des S.O.S.
On aurait dit les sémaphores
Les copains d’abord
Ce jour-là, le coup de Trafalgar est intervenu vers les coups de minuit, quand la porte de l’établissement s’est ouverte avec un grincement et M. Bardo est apparu sur le seuil, sa grosse torche dans la main. Il n’avait pas besoin de paroles, un petit geste de sa lampe, telle un sémaphore, suffit pour dire : « Stop, vous rentrez illico presto, on en reparlera demain ».
C’est le lendemain que j’ai appris la portée de l’expression « passer un savon à quelqu’un ». Convoqués dès l’aube dans le bureau de direction, on s’est vu aligner par le père Richard. Il n’a pas fallu plus qu’un discours musclé axé autour des notions « rigueur et discipline » pour nous réveiller. En revanche, comme il ne pouvait renvoyer l’ensemble des participants de l’escapade nocturne – les garçons risquaient de se retrouver sans moniteurs – il cherchait à savoir qui en était l’instigateur. Or, à ce jour, sa question est restée sans réponse, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de capitaine. Et pour cause, on était des copains d’abord …
09/01/2017 – Piotr Rozenski



