Heureusement qu’ils l’ont agrandi … le réfectoire … sinon où aurions-nous été ?
C’était le refuge, le havre … là où tous se rassemblaient, où tout se passait, quand dehors ce n’était pas le bon moment. C’était là qu’on mangeait … là qu’on jouait, les jours de pluie … là qu’on simulait l’ognisko, quand la météo nous faisait la gueule … là qu’on faisait la fête, qu’on faisait les fous et la prière, et même la messe parfois.
C’était là qu’on apprenait à danser, pendant le cours de danses … là qu’on apprenait à devenir des moniteurs … là qu’on apprenait à chanter … là qu’on chantait « Sto lat » aux anniversaires … et la « Digue du c… » quand notre statut d’adolescent l’exigeait … « D’Comblain à Montaigu … la digue, la digue … ».
C’est là qu’on écoutait religieusement les concerts improvisés de Pierre Bartnik.
C’est l’endroit de Comblain le plus imprégné d’émotions, de souvenirs, d’odeurs … celle du cacao chaud de quatre heures, celle du thé du souper … celle du café du matin.
Et ce brouhaha qui ne s’arrêtait que quelques minutes … juste le temps de la prière … et qui reprenait de plus belle.
Quand j’étais enfant, à chaque fois que je pénétrais dans le réfectoire, j’avais l’impression d’entrer dans un navire. C’est sans doute la configuration de cette immense pièce qui me donnait cette impression. Avec ses fenêtres de chaque côté et devant aussi, le réfectoire ressemble à un grand paquebot de croisière.
Moi, je voyais là, à bâbord les voies du chemin de fer et à tribord l’Ourthe. Devant, sur le mât, comme sur tous les bateaux du monde, les couleurs nationales flottaient dans le vent. Nous, nous étions prêts à larguer les amarres et à prendre le large … cap sur Hamoir. On devenait pirates, flibustiers, capitaines ou simple corsaires et tous les trésors du monde nous attendaient.
J’aurais beaucoup aimé être là pendant les inondations … voir l’eau envahir doucement le parc … entourer le bâtiment … soulever notre navire … et flotter, enfin. I believe i can fly !
Aujourd’hui, le navire est toujours là. Il a connu des assauts, des abordages, des avaries, des mesquineries. Il a subi des tempêtes, connu des ivresses et des sécheresses, des heures de gloire et de désintérêt, des cales pleines et des soutes vides. Il a transporté des migrants, recueilli des naufragés, il a risqué de sombrer … mais n’a jamais échoué.
Il a connu des vents favorables et des heures où il a fallu ramer ; des discours grandiloquents et des lendemains austères ; des fêtes mémorables et des soirs tristounets ; des personnes admirables et d’autres … moins.
Il a été « boat » pour des « people » qui rêvaient d’autre chose … simple radeau pour les « médusés » qui refusaient d’y croire … « bateau amiral » pour ceux qui se voyaient déjà … et simplement « bateau de croisière » pour les vacanciers, comme nous, qui ne venaient y chercher que le plaisir.
Mais il est toujours là. Il faut dire que cette coque-là est faite d’un matériau totalement indestructible et inoxydable : l’âme des polonais.
17/10/2016 – Jean-Pierre Dziewiacien








