0010 – Pan Jan

Je vais peut-être vous étonner, mais Pan Jan n’est pas né à Comblain-la-Tour. Eh, non.

Je sais, ça paraît étrange. Pour nous, il était toujours là. Que nous arrivions ou que nous repartions, Pan Jan, lui, ne bougeait pas. Il était là à demeure. Au point qu’on pouvait penser que nous allions en vacances chez lui. Son histoire personnelle a commencé bien avant Comblain.

Il est né en Pologne, en 1912, et comme tous les autres émigrés polonais, il est devenu mineur dans un charbonnage du Borinage. Comme tous ses congénères, il était logé dans des habitations de « fortunes » construites à la hâte sur les terres poussiéreuses des terrils à Flénu.

Si vous avez envie de connaître les conditions de vie ( de survie ) des émigrés de l’époque, je vous engage à visionner l’excellent film de Paul MEYER : « Déjà s’envole la fleur maigre », tourné fin des années 1950 dans le Borinage. Ce chef-d’œuvre cinématographique est considéré par les connaisseurs comme un des plus beaux films du XX siècle.

Je ne vous parle pas de ce film par hasard. En effet, Pan Jan a participé à ce tournage.

La trame de cette histoire se résume à décrire une journée de la vie des émigrants italiens dans une colonie multiculturelle. Mais une scène importante est consacrée aux polonais. Leur convivialité et leur sens de la fête témoignent de leur capacité à se redresser malgré l’adversité.

Pan Jan – de son vrai nom Jan SMOLAG – joue le rôle du joyeux luron qui « arrose » ses compagnons dans la plus belle tradition de l’hospitalité polonaise. Ce n’est sans doute pas un hasard si ce grand gaillard a retenu l’attention du réalisateur. En plus, il avait un « physique ».

Ce film, si important soit-il, n’a été qu’un intermède dans la vie de Jan, évidemment.

Son ordinaire, c’était plutôt le charbonnage, descendre « au fond », jour après jour, et la cantine que ses compagnons finissaient par quitter pour fonder des foyers. Lui n’a pas eu cette chance. Il n’a pas rencontré l’amour et n’a pas trouvé sa place.

Aussi, dès le début des années 60, quand les charbonnages se sont mis à fermer, les uns après les autres, et les cantines aussi, il s’est retrouvé bien seul et sans avenir. Heureusement pour lui, c’est précisément à cette époque que la Communauté polonaise – qui commençait à s’organiser – s’est mise en quête de trouver un endroit où elle pouvait espérer offrir un petit paradis à ses enfants.

Nous étions alors tous parqués dans des corons et des cités bâties aux abords des mines. Aucun d’entre nous n’avait les moyens de voyager ou de partir en vacances. C’est dans ce contexte qu’une poignée de courageux s’est mis en tête d’organier des vacances aux enfants des mineurs. C’est ainsi que le site de Comblain-la-Tour a été déniché et que le rêve est devenu réalité.

Tout naturellement, Pan Jan a été sollicité pour devenir le premier concierge du lieu. Le fait d’être toujours célibataire – et prêt à relever tous les défis – lui a sans doute permis de vivre ce nouvel exil plus facilement. S’il a laissé dans le Borinage tous ses amis, il en a gagné des milliers d’autres à Comblain.

Pour nous, les enfants de mineurs polonais, nés dans les années 50, 60 et 70, la maison polonaise de Comblain-la-Tour est très vite devenue le paradis. Pour la plupart d’entre nous, nous n’avons jamais connu d’autres vacances que celles-là. Nous n’en n’aurions pas voulu d’autres. Comblain, c’était la récompense… le saint Graal. Nous attendions toute l’année le bonheur de se retrouver dans le parc et de retrouver les autres enfants des autres régions.

Toute la Communauté Polonaise se retrouvait réunie là. Il y avait des gosses des régions de Liège, de Charleroi, de Mons, du Centre, du Limbourg,… Il faut dire que partout où il y avait des charbonnages, il y avait des polonais pour y travailler… et des enfants.

Pan Jan est très vite devenu l’indispensable. C’est son sourire qui nous accueillait, qui nous souhaitait la bienvenue « chez nous ». On l’enviait d’être « toujours en vacances » ; on lui était reconnaissant d’entretenir « notre » paradis ; on lui vouait un respect inconditionnel. Il est devenu une icône. C’était le gardien du temple.

Entre 1960 et 1980, des milliers d’enfants, venus des quatre coins de la Belgique, d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de Pologne et d’ailleurs, se sont mélangés dans un esprit de communion et de fraternité.

Pour ceux qui venaient de l’étranger, Comblain-la-Tour c’était la seule chose qu’ils connaissaient de la Belgique… peut-être la seule chose qu’ils retiendront de leurs vacances d’adolescent et Pan Jan, c’était… l’ambassadeur.

Des milliers de cartes postales ont été envoyées à travers l’Europe qui représentaient la maison polonaise avec en avant plan Pan Jan. Il était devenu indissociable du reste : Comblain / la maison / le parc / l’Ourthe / le rocher de la vierge / et… Pan Jan.

Ceci explique que tant d’années après sa mort ( le 16/09/1981 ), il est toujours présent dans nos souvenirs et dans nos cœurs. Pan Jan n’a pas eu d’enfants, de descendants, d’héritiers, mais nous sommes des milliers à revendiquer une certaine filiation… celle du cœur.

C’est justement parce qu’il n’a pas de successeur, de personne qui puisse veiller sur sa mémoire, qu’il est important de ne pas l’oublier. Ce n’est pas seulement Pan Jan qui est enterré derrière l’église de Comblain, c’est aussi une partie de notre âme polonaise et une partie de notre âme d’adolescent qui repose près de lui.

À présent, trente ans après sa mort, l’administration communale d’Hamoir considère que la tombe de Pan Jan est « laissée à l’abandon »… C’est vrai que Comblain ce n’est pas tout près et qu’aller là-bas juste pour déposer des fleurs, faut être motivé. Mais ce n’est pas une raison pour croire que nous l’avons abandonné.

Les pierres tombales, avec le temps, se sont un peu écartées. Aucune n’est cassée, juste un peu écartée.

Il ne faudrait pas grand-chose pour corriger le défaut et rendre à Pan Jan un dernier hommage bien mérité.

27/07/2015 – Jean-Pierre Dziewiacien

0058 : COMBLAIN-LA-TOUR – carte postale : Pan Jan
0058 : COMBLAIN-LA-TOUR – carte postale :
Pan Jan
0059 : COMBLAIN-LA-TOUR – 1962 – Les pionniers : ( ? ) ; Pan Jan ; Dr Wilczek ; ( ? ) ; ( ? ) ; Accroupis ( ? ) ; ( ? ) ; Mr Léon Czak
0059 : COMBLAIN-LA-TOUR – 1962 – Les pionniers : ( ? ) ; Pan Jan ; Dr Wilczek ; ( ? ) ; ( ? ) ; Accroupis ( ? ) ; ( ? ) ; Mr Léon Czak
0060 : COMBLAIN-LA-TOUR – 1964 – Les pionniers : Pan Jan ; ( ? ) ; ( ? ) ; ( ? ) ; ( ? ) ; Mr Joseph Rzemieniewski ; ( ? )
0060 : COMBLAIN-LA-TOUR – 1964 – Les pionniers : Pan Jan ; ( ? ) ; ( ? ) ; ( ? ) ; ( ? ) ; Mr Joseph Rzemieniewski ; ( ? )
0061 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan
0061 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan et Kozlowski Kazimierz
0062 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan
0062 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan et Kozlowski Kazimierz

0063 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan

0063 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan et Kozlowski Kazimierz

0064 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan
0064 : BORINAGE – dans les années 1950 – Extrait du film de Paul Meyer : « Déjà s’envole la fleur maigre » : Pan Jan et Kozlowski Kazimierz

2 commentaires sur “0010 – Pan Jan

  1. Je pense que Pan Jan habitait Flénu avant Comblain (sur les photos cela ressemble aux baraquements de l’époque à Flénu)

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