Comme déjà évoqué dans un article précédent ( n° 144 ), pour construire la ligne de chemin de fer, il fallut d’abord « reboucher le canal » ! Qu’est-ce que c’est que ce canal ? Pourquoi fallait-il construire là, à Comblain-la-Tour, un canal, alors que l’Ourthe n’est distante que d’une centaine de mètres ? Pourquoi ces travaux ont-ils été finalement abandonnés ? Est-ce déjà le début d’une suite sans fin de « travaux inutiles » ? Nous allons essayer de comprendre et de répondre à quelques-unes de ces questions.
Effectivement des bateaux « commerciaux » empruntaient la rivière, mais l’Ourthe est plus romantique que navigable. Parfois elle déborde, parfois elle manque cruellement d’eau. Par endroits, elle n’est pas assez profonde, à d’autres trop rapide. Malgré des travaux réguliers de curage, d’élargissement et des dispositifs spécifiques comme les barrages et les « vènes », avec leurs plans inclinés, il était très compliqué pour les « bètchètes » d’assurer un service régulier pour livrer leurs marchandises, essentiellement le minerai de fer et les pierres. Pourtant la forme et les caractéristiques de cette petite barque étaient adaptées aux caprices de l’Ourthe. La « bètchète » offrait un faible tirant d’eau ( 85 cm ), elle pouvait embarquer entre 10 et 18 tonnes de fret, possédait un mât déplaçable qui se trouvait toujours du côté du chemin de halage ; car évidemment, elle était tractée, depuis le chemin de halage, par un cheval. Et malgré tout ça, entre juillet et août, la navigation était impossible … par manque d’eau. Cette courte période de chômage s’appelle l’étiage.
Donc, pour remédier aux « insuffisances » de la rivière, un gigantesque projet fut imaginé. L’idée, c’était carrément de relier, par voie d’eau, la Meuse à la Moselle … et donc au Rhin. C’est le plus vaste projet de travaux publics qui ait été entrepris en Belgique à cette époque.
Le Canal de l’Ourthe, projet soutenu par Guillaume Ier des Pays-Bas, est mis au point par Remi De Puydt.
Les chiffres sont impressionnants : il prévoit la canalisation de 300 à 400 kilomètres de voies navigables et la construction de 205 écluses ainsi qu’un tunnel de quelque 2,5 kilomètres à Bernistap ; le tout à travers le massif ardennais. À Comblain-la-Tour, le canal coupera le village en deux ! Il passera juste à côté de notre maison polonaise et longera le parc … c’est exactement l’itinéraire qu’emprunte aujourd’hui la ligne de chemin fer.
Les travaux sont commencés en 1827, mais l’entreprise sera affectée par des problèmes de financement. La révolution belge de 1830 et l’invention du chemin de fer mineront le projet. La construction du canal se poursuivit sans interruption jusque 1832, puis sporadiquement en 1836 et 1837 et fut finalement arrêtée, malgré l’avancement déjà important des travaux, notamment les 16 maisons éclusières qui étaient sous toit.
L’indépendance reconnue du Grand-Duché du Luxembourg en 1839 provoquera son arrêt définitif.
Quel dommage ! Imaginez comment auraient été nos vacances entre l’Ourthe et le Canal de l’Ourthe ! Le Centre Millennium et le parc auraient été une île … et nous des Robinsons.
Au lieu d’avoir ce train qui poussait des cris stridents et qui nous faisait sursauter … on aurait eu la douce quiétude des chalands qui remontaient le canal à pas lents. Au lieu de ce mur immense qui nous séparait du reste du village, on aurait eu une vue splendide sur Comblain-l’amour … et qui sait si on n’aurait pas sympathisé davantage avec des autochtones … Je suis sûr que les plus romantiques de nos filles seraient allées chiper des carottes dans le petit potager pour aller les offrir aux chevaux qui tiraient les « bètchètes ». Et je suis sûr qu’elles seraient rentrées, au centre, impressionnées et affectées par le dur labeur de ces braves montures. Et nous … on aurait pu les réconforter …
De cette immense entreprise, il ne reste plus grand-chose … à Comblain-la-Tour : rien. Tout a été rebouché pour construire le chemin de fer. Ailleurs, d’importantes sections de ce canal sont encore visibles aujourd’hui.
Désaffecté en amont d’Esneux en 1917, le canal fut encore utilisé entre Angleur et Tilff durant la guerre 1940-1945. À Bernistap, le tunnel est encore visible ( classé monument historique en 1988 appartenant à la Région Wallonne ).
Si vous êtes du genre curieux, je vous engage à lire les quelques extraits en annexe des « Échos de Comblain » pour en savoir plus sur la navigation des « bètchètes » à Comblain.
Si vous voulez en savoir plus sur le Canal de l’Ourthe, allez voir le site :
http://meuse-moselle1830.be/cmm.index.html.
Mais si vous êtes, comme moi, plutôt rêveur … laissez-vous entraîner par votre imagination, embarquez avec moi, sur une de ces « bètchètes », laissons-nous « haler » et rêver à ce décor qui aurait été tellement différent …
18/12/2017 – JP Dz








