La langue française est extraordinaire. On y trouve des expressions si imagées et tellement ambiguës.
L’une d’entre elle m’a toujours fait penser à Comblain : « Prendre langue ».
Définition du dictionnaire : « Prendre langue » = Locution verbale – signifie : se rapprocher de quelqu’un, créer une relation, se mettre en contact, établir un lien ; synonyme : s’aboucher !
Même si l’expression est quelque peu surannée – Chateaubriand, Stendhal et Blaise Cendrars en faisaient usage – elle reste très chaste, très pure et totalement dépourvue de connotation à double sens.
Mais j’imagine qu’à notre époque, si aseptisée, on trouvera aisément des détracteurs mal pensants qui feront la « fine bouche ». Moi, j’éviterai les pièges. On peut « prendre langue » sans qu’il n’y ait « prise de bec ».
Pourquoi cette expression me fait penser à Comblain ? Pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, quand on débarquait à Comblain pour la première fois, on n’y connaissait pas grand monde.
Il fallait bien entrer en contact avec tous les autres … sous peine de rater ses vacances. Alors, on était bien obligé de faire face à sa timidité et de « prendre langue » avec les autres.
Ensuite, et très vite, on se rendait compte que les autres étaient différents ; que même notre façon d’utiliser la langue ( française ) variait selon notre région d’origine. On apprenait d’autres mots, d’autres expressions.
On découvrait l’accent des uns et des autres. La langue se faisait multiple. Et chacune avait sa saveur.
Le polonais, quant à lui, qui était notre langue maternelle et que nous utilisions – avec plus ou moins de difficulté – à la maison, devenait, à Comblain, l’instrument du rapprochement, de l’ouverture.
Pour « prendre langue » il fallait d’abord l’apprendre, la domestiquer, étudier ses contours, goûter à ses subtilités. Les mots parfois manquaient … pourtant on les connaissait … on les avait au bout de la langue.
Mais entre le bout de notre langue et … l’oreille de l’autre, il y a souvent … un si long chemin.
Et enfin, il y avait les autres langues … celles qui restaient un mystère pour nous, pauvres wallons que nous étions. Ces filles venues du Limbourg étaient si jolies … et leur langue si inabordable. Nous rêvions de « prendre langue » avec elles aussi … mais la barrière de la langue semblait infranchissable. Ceux qui pratiquaient assidûment la langue ( polonaise ) avaient un avantage sur les autres qui en bavaient d’envie.
Heureusement, on s’est vite rendu compte, qu’elles étaient beaucoup plus douées en langue que nous …
Les langues étrangères ne leur faisaient pas peur. Elles avaient appris à s’en servir. Quel soulagement !
Nous avons donc pu « prendre langue » avec elles aussi … et ce fut très agréable.
Les contacts sont devenus francs et sincères ; elles n’avaient pas leur langue dans leur poche … Dieu merci.
Les allemandes et les anglaises ont été autant d’expériences différentes. L’envie d’apprendre et celle de multiplier la gamme de nos émotions nous ont poussés à franchir tant de frontières. On ne l’a pas regretté.
Et pour finir, il me faut bien l’admettre, que parfois, par timidité ou par crainte de manquer de vocabulaire, ou tout simplement, quand on ne savait plus par quel bout la prendre, certains ont préféré « prendre langue »… autrement … sans devoir « peser les mots » … mais ça, c’est une autre histoire.
07/03/2016 – Jean-Pierre Dziewiacien
PS : Croyez-moi si vous voulez, mais avant d’écrire ce qui précède, j’ai tourné ma langue sept fois dans ma bouche.





