Si vous prêtez l’oreille, sur le terrain de football de Comblain-la-Tour vous risquez d’entendre encore quelques accords de jazz. Mais si vous prêtez la même oreille sur Notre terrain de volley, c’est sûr, vous entendrez des notes familières … celles qui ont bercé notre enfance … celles du folklore polonais.
Ce terrain n’était pas seulement l’endroit idéal pour nos jeux et nos compétitions, il était aussi l’endroit parfait pour nos rassemblements et nos festivités. C’est là qu’on installait le grand chapiteau pour la majówka, là que les KSMP présentaient leurs spectacles, là qu’on organisait nos ognisko, qu’on arborait nos costumes folkloriques, là qu’on chantait, qu’on criait, qu’on s’exaltait. C’est l’endroit le plus saturé de nos rires et de notre joie de vivre.
Car il faut bien l’admettre, s’il y a bien une qualité chez tous les polonais, c’est celle de résister face à l’adversité, de la surpasser pour en faire une dynamique positive ; aujourd’hui, on parlerait de « résilience », nous on sait que cela fait partie de notre nature profonde, que c’est inscrit dans notre histoire.
Dans les années 60, Monseigneur De jardin, délégué de l’épiscopat Belge auprès des réfugiés, participait régulièrement aux évènements organisés par la communauté polonaise. Quand on l’invitait sur scène pour s’exprimer, il aimait s’élancer dans des envolées lyriques mémorables. Le prélat était coutumier des petites phrases qui faisaient mouche. Je me souviens d’une de ses phrases qu’il avait prononcée lors d’un spectacle de danses folkloriques : « Une nation capable de faire chanter et danser sa jeunesse en exil, n’est pas une nation qu’on peut réduire en esclavage », disait-il d’une voix chevrotante.
Au premier abord, je me suis dit « Qu’en si beaux termes ces choses-là sont dites ». Bien sûr, il a raison. Et comment ne pas être fier d’inspirer une si belle image de Nos traditions. Le folklore est l’expression la plus aboutie de l’histoire et de la culture populaire. Il permet de transmettre, non seulement des valeurs, mais aussi un certain art de vivre. J’étais fier et heureux d’appartenir à une communauté capable d’y arriver.
Mais depuis, et après réflexion, ce sont les autres mots qui m’interpellent : « exil », « esclavage » … Quelle drôle d’idée ! Bien sûr, on peut toujours débattre de tout, mais … sommes-nous en exil ? Avons-nous le sentiment d’être, ou d’avoir été, ou d’avoir failli être « esclaves » ? Franchement … je n’ai jamais ressenti pareille blues. Être polonais n’a jamais été, pour moi, une souffrance … et vous ?
Je ne dis pas que nos parents, grands-parents, tantes et oncles n’ont pas souffert d’être obligés de quitter la Pologne. Je ne dis pas que l’accueil qu’ils ont reçu en Belgique était irréprochable. Je sais combien le travail qu’on leur confiait, au charbonnage ou ailleurs, était pénible … mais qui se souvient de les avoir entendus se plaindre ?
Ks Kurzawa, Pan Bardo, Dr Wilczek sont tous passés par des camps de concentration … vous ont-ils parlé de leurs souffrances ? Et combien d’autres, parmi nos familles, ont été prisonniers et maltraités par les nazis … vous ont-ils encouragés à la haine, à la vengeance et aux représailles ? Pas du tout. Au contraire. Ils nous ont appris à chanter, à danser … à vivre.
La grandeur des grands hommes se mesure par leur capacité à créer encore plus d’humanité dans chacun de nous ; la médiocrité des petits esprits, en revanche, n’est capable que d’attiser nos différences pour en faire des remparts contre leurs propres nullités.
Nos racines à nous sont Polonaises, mais toutes les racines sont faites pour aller plus loin, plus haut. Et c’est exactement à ça que nous ont préparé ceux qui veillaient sur nous à Comblain. Pas à oublier les racines, mais surtout à s’épanouir quel que soit le terrain sur lequel nos destins nous mèneraient. Ils n’ont pas, Dieu merci, essayé de faire de nous des nouveaux croisés capables de s’embraser, le moment venu, pour des doctrines périmées. Ils n’ont pas semé en nous les germes de l’insatisfaction permanente et de la révolte, comme on le voit tellement trop en ce moment. Ils ne comptaient pas sur nous pour une hypothétique reconquête. Ils ont mis en avant la culture, pas la nation. Ils ont choisi de nous transmettre les chansons, les danses et le folklore en général. Ils ont préféré nous inculquer la joie de vivre. Quelle sagesse !
Le terrain de volley de Comblain est, et restera pour toujours, un endroit singulier ; celui des rassemblements. C’est l’épicentre du Centre Millennium, presque sa raison d’être. C’est là qu’on vous donne rendez-vous ce 23 septembre 2017, pour fêter une fois de plus, le plaisir d’être ensemble.
11/09/2017 – JP Dz








