L’année 2023 restera marquée par les commémorations du centenaire de l’arrivée des polonais dans la région Mons-Borinage. Pour fêter l’évènement, toutes sortes de manifestations ont été organisées par Raymond Mielcarek et tous les bénévoles qu’il a regroupés autour de lui. C’est l’occasion pour moi de féliciter Raymond pour avoir orchestré pareille entreprise.
L’exposition de photos, inaugurée le 21 janvier 2023 à l’église d’Hautrage-État, a réuni énormément de personnes qui ont pris plaisir à déambuler entre les panneaux largement illustrés et à se remémorer ces 100 ans de présence polonaise dans notre région. Félicitations à tous ceux qui ont consacré du temps et de l’énergie pour cette merveilleuse rétrospective.
C’était le premier évènement d’une longue série qui s’est achevée par une célébration eucharistique au même endroit ce 14 janvier 2024. À cette occasion, André Karasiński a prononcé un discours très émouvant. Il a non seulement brossé un tableau admirable pour décrire comment cette communauté s’est implantée et s’est développée, mais il a aussi réussi à trouver les mots justes pour dépeindre nos sentiments et nos ressentis face à cet héritage. Puissent ces quelques mots nous rester en mémoire encore très longtemps.
JP Dz
Voici le texte du discours prononcé par André Karasiński :
En mai dernier, dans cette église d’Hautrage-État, une exposition retraçait à l’aide de photographies et de textes l’histoire, vieille de 100 ans, de l’émigration polonaise dans la région Mons-Borinage. Cette exposition inaugurait un cycle de diverses manifestations célébrant ce centenaire de la présence de Polonais sur la terre boraine.
En provenance de Westphalie, les premiers Polonais sont arrivés en 1923, suivis dès 1926 et jusque 1939, de travailleurs recrutés directement en Pologne par la fédération charbonnière de Belgique. Après le second conflit mondial, une partie de ceux que la guerre avait chassé de leur pays – militaires, déportés du travail obligatoire, survivants des camps de concentration – ont refusé de rentrer chez eux pour des raisons à la fois politiques et économiques et ont choisi l’exil, notamment en Belgique. Durant la période de la République populaire de Pologne, le processus d’émigration s’est poursuivi malgré la mise en place par le pouvoir communiste de conditions au départ plus drastiques et la loi martiale instaurée en 1981 par le général Jaruzelski a provoqué ce que l’on a appelé « l’émigration Solidarité ». Depuis 2004 et l’adhésion de la Pologne à l’UE, le principe de la libre circulation des travailleurs s’est appliqué, petit à petit, aux Polonais. Ceux qui sont arrivés après 1980 se sont principalement installés dans les grandes villes comme Bruxelles, Anvers, Gand …
L’exposition a également mis en lumière les différentes associations – masculines, féminines, sportives, culturelles, école polonaise, groupements de jeunes – que les Polonais ont mises en place. En effet, face à des conditions de vie difficiles – logement modeste, méconnaissance de la langue locale, travail pénible et périlleux, statut social et professionnel peu élevé, possibilités de promotion rares – les mineurs polonais de la première génération se sont adaptés en utilisant des stratégies vieilles comme le monde à savoir les organisations traditionnelles et l’isolement dans l’environnement national.
L’intégration est venue plus tard avec les générations de jeunes nés sur le sol Belge.
Au terme des célébrations liées au centenaire, nous nous retrouvons dans cette église, ce 14 janvier 2024, pour une célébration eucharistique et c’est pourquoi j’aimerais souligner le rôle joué au sein de l’émigration par la Mission Catholique Polonaise de Belgique.
Faisant suite à la demande du cardinal Désiré-Joseph Mercier, Archevêque de Malines et Primat de Belgique d’organiser une pastorale permanente pour les Polonais, le Primat Dalbor a fondé en janvier 1926 la Mission Catholique Polonaise à Bruxelles – PMK : Polska Misja Katolicka – qui couvrait également le Grand-Duché de Luxembourg.
Dès son établissement en Belgique, la Mission catholique polonaise (PMK) est devenue le centre de direction tant pour les aumôniers de langue polonaise que pour les organisations mises en place par les émigrés.
Les différents Recteurs de la PMK ont eu un rôle d’influence idéologique important sur l’émigration polonaise. Ils ont aussi pris de nombreuses initiatives sociales concernant leurs compatriotes et leur implication a été prépondérante dans la mise en œuvre de l’enseignement polonais, des organisations d’entraide, des activités caritatives et culturelles. Outre la mission pastorale proprement dite, l’enseignement de la langue et le maintien de la culture polonaise furent les moteurs des activités entreprises par la Mission catholique polonaise et ses prêtres.
Parmi les prêtres ayant officié à Hautrage-État (de 1951 à 1967) mais son ministère s’étendait à Quaregnon, Tertre, Hensies, Baudour, Hornu, Bernissart, Harchies, Mons, permettez-moi de citer le père Ryszard Woryna. Sa plus grande fierté – et magnifique réussite – aura été la mise sur pied, en octobre 1960, de l’Association de la jeunesse catholique polonaise, K.S.M.P. « Echo Ojczyste » qui a poursuivi ses activités jusqu’en 1985.
En 2018, par décision de la Conférence épiscopale belge, la Mission catholique polonaise en Belgique a été transformée en Communauté catholique polonaise en Belgique avec à sa tête un coordinateur de la pastorale polonaise en Belgique.
En conclusion à mon intervention, je voudrais relayer les sentiments de certains qui s’étonnent et regrettent que, contrairement à ce qui semble se passer dans quelques localités du Nord de la France, pas très loin d’ici, les messes polonaises, les fêtes traditionnelles attirent peu de monde et, particulièrement, attirent insuffisamment de jeunes issus des troisième et quatrième générations de l’immigration.
Alors, quel avenir pour la Polonia, càd la diaspora polonaise, ici dans la région Mons-Borinage et plus globalement en Belgique ?
En réponse à cette interrogation existentielle, je ne peux que suggérer certaines pistes de réflexion.
L’Église et le catholicisme belge connaissent une crise et la pratique religieuse est en baisse même si la communauté polonaise reste attachée à certaines pratiques et aux prêtres issus du pays de ses aïeux. En outre, exception faite des Polonais de Bruxelles, l’influence du coordinateur de la pastorale polonaise en Belgique s’est étiolée.
Les jeunes générations se sont tournées de plus en plus vers leur pays de résidence, la Belgique. Devenus adultes, ils se sont mariés, mariages mixtes très souvent, ont quitté le quartier de leur jeunesse, ont choisi la nationalité belge pour une partie importante d’entre eux, ont fondé une famille et se sont éloignés de la culture de leurs parents. Ce constat est de plus en plus visible même si l’attachement à la Pologne n’a pas complètement disparu. Ce reliquat de polonité doit être exploité et entretenu.
Les vieilles associations ont périclité puis ont progressivement disparu car les jeunes ne se reconnaissaient plus en leur fonctionnement. Les associations qui les ont remplacées, comme BelPol ou Spotkanie, doivent continuer à se réinventer pour répondre aux nouvelles aspirations, aux nouveaux centres d’intérêt des Belges d’origine polonaise. Important chantier pour l’avenir !
Pour clore, j’aimerais ajouter comme support à la réflexion un témoignage de Pierre Frackowiak, Inspecteur honoraire de l’Education nationale française. Français d’origine polonaise, il a passé son enfance et sa jeunesse dans une cité minière de Liévin où ses parents ont vécu jusqu’à leur décès.
« ( …) il convient de rappeler que l’attachement à la cuisine de babcia et que la participation, même très active, aux activités associatives et religieuses de la Polonia, ne sont pas du tout des gages de fierté d’être d’origine polonaise. Dans ces situations, on est dans l’entre soi, il peut y avoir du plaisir, du bonheur, de l’émotion, on peut être fier de soi en participant mais ce n’est pas fier d’être d’origine polonaise. On peut l’être si l’on chante ou si l’on danse en groupe pour des spectacles s’adressant à des publics français ou autres, mais pas quand on reste dans l’entre nous.
Cette notion de fierté mérite donc une réflexion fondée sur des analyses, sur des prises de conscience, sur des moments d’autoscopie. Elle le mérite d’autant plus qu’elle pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques des associations « polonaises ». Sortir de l’éphémère et de l’entre soi pour partager les richesses culturelles de la Pologne et élever le niveau des savoirs et de la réflexion de ses membres.
Être fier de ses origines permet d’accepter et d’affirmer sa différence. (…) En étant fier de ses origines, on n’oublie pas qui on est et on invite les autres au voyage. »
Je suis fier d’être d’origine polonaise quand on parle de Chopin, Mickiewicz, Marie Curie, Korczak, Wajda, Szymborska, Kantor, Wieniawski, Matejko, –j’ajouterais de Maximilien Kolbe, de Jean-Paul II – (…) de la place de la Pologne dans l’Europe, etc., dont je n’avais jamais entendu parler dans ma famille (…)
Je suis fier. Et vous ?
La notion de fierté de ses origines polak a-t-elle un sens pour vous ? »
Personnellement, je suis fier et heureux d’être à la fois totalement Polonais et totalement Belge. Posséder une double culture c’est avoir deux visions du monde, deux histoires nationales auxquelles se référer, deux modes de vie, deux langues, des traditions diverses (culinaires, folkloriques, politiques…). Une double culture favorise la tolérance, le respect de l’autre, l’ouverture d’esprit débouchant sur une capacité d’analyse plus objective et entraînant une plus grande liberté de choix. Celui qui a été élevé et a forgé sa personnalité dans une double culture jouit également d’une adaptabilité accrue face aux situations qui peuvent se présenter à lui. Posséder une double culture est une chance et une très grande richesse.
Merci à mon ami Raymond Mielcarek, initiateur et maître d’œuvre de cette année du centenaire. Merci également à toute l’équipe qu’il a su fédérer autour de lui, pour le gigantesque travail accompli et bravo pour la belle réussite du projet.
André Karasiński